Un Québécois ou un Noir au volant?
Alain Babineau JD/BCL. BA LAWS. BA CRIM. GDCR.
12/29/2021
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Comment appelle-t-on une personne de race noire conduisant un automobile de luxe à Longueuil ? On appelle ça un Québécois au volant !
Joël De Bellefeuille, un homme de race noire né au Québec, affirme avoir été intercepté sans motifs par la police plus d’une dizaine de fois au cours des 12 dernières années comme « Noir au volant » alors qu'il conduisait son véhicule. Cependant, au cours de ces 12 dernières années, De Bellefeuille est passé de « victime », à « vainqueur », à « leader » !
Voici son histoire:
Le terme « Noir au volant » (“Driving While Black”) décrit lorsqu’un automobiliste est intercepté par un policier sur la base de préjugés raciaux, plutôt que pour une violation du code de la route. Aux États-Unis en 1996 malgré son effet disproportionné désastreux sur les Afro descendants, l’arrêt Whren v. United States a statué que ce type d’interception étaient un « outil utile » pour combattre la criminalité ! Ici au Canada, en 2002 dans l’arrêt R c. Brown, la notion de « Noir au volant » fut reconnue comme étant une forme de profilage racial et dénoncée comme une pratique illégale par les tribunaux. Même si le policier dans cette affaire avait alors affirmé qu'il avait intercepté Dee Brown des Raptors de Toronto parce qu'il roulait à grande vitesse, le Tribunal jugea qu’en réalité il avait tout simplement été victime d’être un « Noir au volant » conduisant une voiture de luxe.
Malgré Brown, les policiers canadiens disposent néanmoins de pouvoirs exceptionnellement larges pour intercepter les automobilistes pour des infractions liées à la conduite automobile, sans avoir besoin de soupçons objectif qu’un acte répréhensible a été commit. Ce pouvoir découlant de la Common Law, est tiré de l’arrêt anglais R v Waterfield de 1963 qui établit les devoirs policiers de « préservation de la paix », de « prévention du crime » et de « protection de la vie et des biens ». Au Canada, en 1985 l’arrêt R c Dedman a étendu cette autorité au devoir de « contrôler la circulation » sur les voies publiques, incluant le pouvoir d’intercepter les automobilistes dans le cadre d'un programme de contrôle aléatoire conçu pour détecter les conducteurs aux facultés affaiblies. En 1990, l’arrêt R c Ladouceur élargit encore plus cette autorité aux interceptions de véhicules de façon « aléatoires » durant des patrouilles policières de routines. À l'époque, pour la majorité, le juge Cory avait rejeté les craintes exprimées par la minorité que ce pouvoir d’interception aléatoire donnait essentiellement aux agents le pouvoir discrétionnaire d'arrêter quelqu'un « pour n'importe quel caprice », incluant des « considérations raciales ». Le juge Cory croyait alors que le système pouvait résister à ce genre d’abus policier.
Au Québec, ce pouvoir de Common Law est codifié par l'article 636 du Code de la sécurité routière. Cet article confirme que la police peut, de façon aléatoire, « exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule », en autant que ces « interceptions » soient liés à une infraction au code de la route. De nos jours, reconnaissant la réalité de préjugés implicites et le recours à des stéréotypes acquis sur la race et le crime affectant le processus décisionnel des policiers, on se doit de remettre en question l’optimisme du Juge Cory.
En juillet 2009, Joël De Bellefeuille se fait intercepter par un policier du service de police de Longueuil pour la quatrième fois en peu de temps alors qu’il conduit sa famille à bord de sa BMW de couleur noire. Envahi d’une grande frustration il décida ce coup-ci de porter une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Trois ans plus tard lorsque le Tribunal demanda à l'agent Salim Ojeil d'expliquer pourquoi il avait intercepté le véhicule De Bellefeuille ce jour-là, le policier répondit que le nom du propriétaire du véhicule « De Bellefeuille » était un « nom québécois » qui « ne correspond pas » à cet homme « Noir au volant » ! Dans cette affaire, De Bellefeuille n’était pas tout simplement vu par les policiers comme un Québécois qui conduisait une BMW, pour eux il était un « Noir au volant » !
Malheureusement l’affaire De Bellefeuille ne s’arrête pas là! Trois ans plus tard, en mars 2012, ce dernier circulait au volant de sa BMW dans un quartier résidentiel de Longueuil, en compagnie de son épouse, de sa nièce et de son fils en route vers la garderie où il va porter son fils, quand les agents Bleu Voua et Polidoro décident de l’intercepter lorsqu’il arrive à destination. Huit ans après avoir porté plainte contre ces policiers le Tribunal donna raison à De Bellefeuille, tout en reconnaissant d’office le contexte social entourant le phénomène du profilage racial par les forces policières au Canada et au Québec. Pour le Tribunal, l’action des policiers ne peut s’expliquer rationnellement que par les préjugés qu’ils entretenaient à l’égard d’un « Noir au volant » d’une voiture de luxe. Fait à noter ici est que Ojeil en 2009 et Bleu Voua en 2012 était des policiers racisés, ce qui porte à confirmer que le profilage racial est un problème systémique et non pas due à quelques « pommes pourrîtes ». Reconnaissant ce fait, en plus d’allouer à De Bellefeuille des dommages compensatoires et punitifs, le Tribunal a de plus imposé au service de police de la Ville de Longueuil une série de remèdes systémiques.
Trente ans après Ladouceur, l’affaire De Bellefeuille illustre clairement que la « prédiction » du juge Sopinka s’est concrétisée ! Est-ce que Ladouceur est toujours applicable dans une société libre et démocratique au 21e siècle, étant donné la reconnaissance d'office des tribunaux de la réalité du concept de "Noirs au volant" ?
Mais qu’en ait il arrivé de Joël De Bellefeuille ? En plus d’avoir gagné son combat contre le système, comme directeur du Red Coalition il mène maintenant la charge au niveau national pour que le fédéral légifère et interdit officiellement la pratique du profilage racial par les forces de l’ordres au pays ! Il insiste que pour que les services policiers canadiens puissent recevoir du financement fédéral pour leurs opérations, ces derniers doivent avoir une politique de zéro tolérance envers le profilage racial et que leurs policiers soient formés!
12/29/2021
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Comment appelle-t-on une personne de race noire conduisant un automobile de luxe à Longueuil ? On appelle ça un Québécois au volant !
Joël De Bellefeuille, un homme de race noire né au Québec, affirme avoir été intercepté sans motifs par la police plus d’une dizaine de fois au cours des 12 dernières années comme « Noir au volant » alors qu'il conduisait son véhicule. Cependant, au cours de ces 12 dernières années, De Bellefeuille est passé de « victime », à « vainqueur », à « leader » !
Voici son histoire:
Le terme « Noir au volant » (“Driving While Black”) décrit lorsqu’un automobiliste est intercepté par un policier sur la base de préjugés raciaux, plutôt que pour une violation du code de la route. Aux États-Unis en 1996 malgré son effet disproportionné désastreux sur les Afro descendants, l’arrêt Whren v. United States a statué que ce type d’interception étaient un « outil utile » pour combattre la criminalité ! Ici au Canada, en 2002 dans l’arrêt R c. Brown, la notion de « Noir au volant » fut reconnue comme étant une forme de profilage racial et dénoncée comme une pratique illégale par les tribunaux. Même si le policier dans cette affaire avait alors affirmé qu'il avait intercepté Dee Brown des Raptors de Toronto parce qu'il roulait à grande vitesse, le Tribunal jugea qu’en réalité il avait tout simplement été victime d’être un « Noir au volant » conduisant une voiture de luxe.
Malgré Brown, les policiers canadiens disposent néanmoins de pouvoirs exceptionnellement larges pour intercepter les automobilistes pour des infractions liées à la conduite automobile, sans avoir besoin de soupçons objectif qu’un acte répréhensible a été commit. Ce pouvoir découlant de la Common Law, est tiré de l’arrêt anglais R v Waterfield de 1963 qui établit les devoirs policiers de « préservation de la paix », de « prévention du crime » et de « protection de la vie et des biens ». Au Canada, en 1985 l’arrêt R c Dedman a étendu cette autorité au devoir de « contrôler la circulation » sur les voies publiques, incluant le pouvoir d’intercepter les automobilistes dans le cadre d'un programme de contrôle aléatoire conçu pour détecter les conducteurs aux facultés affaiblies. En 1990, l’arrêt R c Ladouceur élargit encore plus cette autorité aux interceptions de véhicules de façon « aléatoires » durant des patrouilles policières de routines. À l'époque, pour la majorité, le juge Cory avait rejeté les craintes exprimées par la minorité que ce pouvoir d’interception aléatoire donnait essentiellement aux agents le pouvoir discrétionnaire d'arrêter quelqu'un « pour n'importe quel caprice », incluant des « considérations raciales ». Le juge Cory croyait alors que le système pouvait résister à ce genre d’abus policier.
Au Québec, ce pouvoir de Common Law est codifié par l'article 636 du Code de la sécurité routière. Cet article confirme que la police peut, de façon aléatoire, « exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule », en autant que ces « interceptions » soient liés à une infraction au code de la route. De nos jours, reconnaissant la réalité de préjugés implicites et le recours à des stéréotypes acquis sur la race et le crime affectant le processus décisionnel des policiers, on se doit de remettre en question l’optimisme du Juge Cory.
En juillet 2009, Joël De Bellefeuille se fait intercepter par un policier du service de police de Longueuil pour la quatrième fois en peu de temps alors qu’il conduit sa famille à bord de sa BMW de couleur noire. Envahi d’une grande frustration il décida ce coup-ci de porter une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Trois ans plus tard lorsque le Tribunal demanda à l'agent Salim Ojeil d'expliquer pourquoi il avait intercepté le véhicule De Bellefeuille ce jour-là, le policier répondit que le nom du propriétaire du véhicule « De Bellefeuille » était un « nom québécois » qui « ne correspond pas » à cet homme « Noir au volant » ! Dans cette affaire, De Bellefeuille n’était pas tout simplement vu par les policiers comme un Québécois qui conduisait une BMW, pour eux il était un « Noir au volant » !
Malheureusement l’affaire De Bellefeuille ne s’arrête pas là! Trois ans plus tard, en mars 2012, ce dernier circulait au volant de sa BMW dans un quartier résidentiel de Longueuil, en compagnie de son épouse, de sa nièce et de son fils en route vers la garderie où il va porter son fils, quand les agents Bleu Voua et Polidoro décident de l’intercepter lorsqu’il arrive à destination. Huit ans après avoir porté plainte contre ces policiers le Tribunal donna raison à De Bellefeuille, tout en reconnaissant d’office le contexte social entourant le phénomène du profilage racial par les forces policières au Canada et au Québec. Pour le Tribunal, l’action des policiers ne peut s’expliquer rationnellement que par les préjugés qu’ils entretenaient à l’égard d’un « Noir au volant » d’une voiture de luxe. Fait à noter ici est que Ojeil en 2009 et Bleu Voua en 2012 était des policiers racisés, ce qui porte à confirmer que le profilage racial est un problème systémique et non pas due à quelques « pommes pourrîtes ». Reconnaissant ce fait, en plus d’allouer à De Bellefeuille des dommages compensatoires et punitifs, le Tribunal a de plus imposé au service de police de la Ville de Longueuil une série de remèdes systémiques.
Trente ans après Ladouceur, l’affaire De Bellefeuille illustre clairement que la « prédiction » du juge Sopinka s’est concrétisée ! Est-ce que Ladouceur est toujours applicable dans une société libre et démocratique au 21e siècle, étant donné la reconnaissance d'office des tribunaux de la réalité du concept de "Noirs au volant" ?
Mais qu’en ait il arrivé de Joël De Bellefeuille ? En plus d’avoir gagné son combat contre le système, comme directeur du Red Coalition il mène maintenant la charge au niveau national pour que le fédéral légifère et interdit officiellement la pratique du profilage racial par les forces de l’ordres au pays ! Il insiste que pour que les services policiers canadiens puissent recevoir du financement fédéral pour leurs opérations, ces derniers doivent avoir une politique de zéro tolérance envers le profilage racial et que leurs policiers soient formés!
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